Des asiles et des fous



Monsieur le président

Par la présente supplique, je ne viens pas comme tant d'autres vous dire que je ne suis pas fou. Devant les tribunaux la preuve incombe à la justice. En psychiatrie, c'est à nous qu'elle appartient et sa première manifestation, paraît-il, est de nous reconnaître pour ce que nous sommes. Admettons-le donc. Mes pareils ne peuplent pas seulement les asiles, mais courent les rues, hantent les académies, bafouillent dans les hémicycles. Demi-fou plutôt que fou, je suis le produit caractéristique d'un siècle où la sagesse même est devenu frénétique.
Fou ou demi-fou, monsieur le président, je viens vous demander des soins.
« N'êtes-vous pas à l'asile ? » me répondrez-vous. Effectivement, j'y dors, j'y mange, j'y fais mon petit pipi, j'y fume le gros cul de la république et sauf, votre respect, je m'y emmerde copieusement. Mais je m'y soigne point. J'attends que ma folie s'en aille. Comme elle est aussi patiente que moi, j'attends depuis cent vingt deux mois.
J'ai le regret de vous informer : la thérapeutique dans les asiles vaut ce que vaut la rééducation dans les prisons. On boucle, on reboucle, un point c'est tout. Nous ne bénéficions jamais de découvertes réservées aux folies de luxe des cliniques privées. Nos maîtres font des conférences et des congrès, il faut aussi des expériences sur quelques uns d'entre nous. Ça ne va pas plus loin.
Les services sont surchargés, on manque de personnel, on manque d'argent. Je le crois volontiers. Mieux vaut employer les crédits à bon escient. C'est ainsi qu'on nous a doté de nouvelles serrures. C'est ainsi que l'on a élevé un second mur d'enceinte, parallèle au premier pour empêcher le peuple de nous insulter de sa curiosité malsaine et les reporters de braquer sur nous leurs objectifs. Nous n'irons pas mieux, mais nous serons à l'abri de toutes indiscrétions.
Qu'on me fasse n'importe quoi, monsieur le Président, mais qu'on me fasse quelque chose !
Il paraît que nos vies sont sacrées (trois mois de cellule pour une tentative de suicide). Ces vies nous voudrions bien les vivre. Nous sommes environ cent mille dans ce cas-là. Cent mille ! La population d'un département. Nous sommes le quatre-vingt-sixième département, le seul qui ne vote pas ! Est-ce pour cela que nous n'avons droit à rien d'autre que des gardes mobiles en blouse blanche ?
Je vous baise les pieds, monsieur le président, en vous priant de les mettre dans le plat.

Jerome Raffreldo (en maltraitance à Villejuif)
Décembre 1971


Commentaires

  1. Mulțumesc pentru aceasta... ❤, deși totul e trist..., atât de trist...
    O seară frumoasă, Mala! 🌹 🙅 😘

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    1. 🌹 🙅 😘 Prends bien soin de toi cher Sem 😘

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  2. Ah oui !!!! il y a tant à dire sur les violences institutionnelles !!!
    Mais quand c'est la voix du témoignage qui parle, il n'y a plus rien que l'on puisse utilement ajouter.
    Merci Mala pour ce partage.

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  3. Sujet vaste, on nait tous pareil, non?
    On vit pareil, non?
    On chie pareil, non?
    Première hospitalisation, j'avais une chambre des barreaux au fenêtre tous était visé au sol le lit le bureau, il y avait deux porte pour rentrer dans ma chambre.La psy m' a dis de faire une feuille avec ce que j'aime et ce que je n'aime pas pour voir que tous n'est pas a chié... Le coups des taches aussi pas mal, la jeu vois un vase ou et deux visages, j'avais 15 ans et ça a duré 5 semaines (et j'aie comme même eu mon brevet( je suis sauvé) )...
    Bref, en psychiatre j'ai jamais eu d’électrochoc (c'est plus a la mode).
    Je me souviens pas d'une période de 3 mois oui j'aie changé de medocs de font, je n'arrivai plus a manger on me couper la nourriture et je mangeai a la gros cuillère...
    Que du bonheur...
    La dépression c'est la maladie de l'ennui mais tu l'as plus dans ta cellule ou dans la vie de tous les jours, surtout ne pas avoir un mauvaise influence triste sinon hop des cachets et quand tu commence leur drogue, tu peux plus les arrêtez..
    Bon allez Salut ;))

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    1. Merci pour ton témoignage mon ami ...

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    2. Oh Cres que de souffrances !!!
      Oui, merci à toi pour ton témoignage ! ❤

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