L'enfant éternel
Liliseron : La petite Pauline se plaint d'une douleur au bras par moment. Rien de bien inquiétant, mais lors d'une visite de routine chez sa pédiatre, cette dernière juge plus prudent de s'assurer que l'enfant ne souffre pas d'autre chose… Après une radiographie et des examens complémentaires, le couperet tombe : Pauline est atteinte d'un cancer des os.
J'ai fait de ma fille un être de papier. J'ai tous les soirs transformé mon bureau en théâtre d'encre où se jouaient encore ses aventures inventées. Le point final est posé. J'ai rangé le livre avec les autres. Les mots ne sont plus d'aucun secours. Je fais ce rêve. Au matin, elle m'appelle de sa voix gaie au réveil. Je monte jusqu'à sa chambre. Elle est faible et souriante. Nous disons quelques mots ordinaires. Elle ne peut plus descendre seule l'escalier. Je la prends dans mes bras. Je soulève son corps infiniment léger. Sa main gauche s'accroche à mon épaule, elle glisse autour de moi son bras droit et dans le creux de mon cou je sens la présence tendre de sa tête nue. Me tenant à la rampe, la portant, je l'emmène avec moi. Et une fois encore, vers la vie, nous descendons les marches raides de l'escalier de bois rouge.
En milieu hospitalier, la contagion la plus crainte est celle du désespoir. Pour lutter contre elle, on use de l'asepsie du silence ou du mensonge. Ceux qui vont mourir on ne leur accorde pas même le droit de perdre l'espoir. On leur explique que jusqu' au bout, les soins ne cesseront pas. Quels « soins » ? Il ne faut pas leur demander. Les enfants qui pleurent, on veut les voir surmonter leur chagrin, ne pas se laisser aller et, le matin, prendre courageusement le chemin de la salle de e ou de la salle de jeu. Des adolescents préparent des examens qu'ils ne passeront jamais. Des fillettes font par dizaine des dessins inutiles. L'important est que tourne la ronde des jours sans que personne ne s'interroge sur elle. Il faut colmater la brèche. Un hôpital est un navire calme dans la tempête. L'eau noire du doute ne doit pas envahir les soutes. Il sombrerait. La société est là toute entière : la dépression est obligée, le désespoir est interdit. Cela prend même l'allure d'une belle loi scientifique. : dans une société donnée, le mensonge de la dépression se répand à mesure que se trouve prohibée la vérité du désespoir.
Merci Mala
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