Peter Pal Pelbart : Comment vivre seul. philosophie du décrochage
Ce titre est un jeu de mots basé sur Comment vivre ensemble de Roland Barthes, et inspiré d'une scène dont j'ai été témoin, au début des années 80, dans une classe Deleuze à Paris. Dans l'un des nombreux cas, l'un des participants, peut-être un patient de Guattari de la clinique de La Borde, a interrompu la conférence pour demander pourquoi les gens étaient si seuls aujourd'hui, pourquoi il était si difficile de communiquer. Deleuze répondit doucement : Le problème n'est pas qu'ils nous laissent tranquilles, c'est qu'ils ne nous laissent pas assez tranquilles. Je ne peux pas imaginer ce qui a provoqué cette réponse zen de l'auditeur désemparé. Venant, en revanche, de quelqu'un qui définissait le travail de l'enseignant comme réconciliant l'élève avec sa solitude. En tout cas, Deleuze ne se lasse pas d'écrire que nous souffrons d'un excès de communication, que nous sommes « traversés par des mots inutiles, par une quantité insensée de mots et d'images », et qu'il vaudrait mieux créer des « vacuoles de solitude et silence" pour avoir enfin quelque chose à dire.(1) C'est que Deleuze n'a jamais cessé de revendiquer la solitude absolue. Même dans les personnages qu'il privilégie tout au long de son œuvre, on voit avec quelle insistance ce thème revient. Prenons le cas de Bartleby, le commis décrit par Melville, qui répond à chaque ordre de son employeur : Je préférerais ne pas, « Je préférerais ne pas ». Avec cette phrase laconique, il remue son entourage. L'avocat oscille entre pitié et rejet face à cet employé planté derrière l'écran, pâle et maigre, une âme perdue, qui parle ou mange à peine, qui ne sort jamais, qu'il est impossible de sortir de là, et qui ne fait que répéter : Je préférerais ne pas. Avec sa passivité il démonte les ressorts de sens qui garantissent la dialectique du monde et fait tout courir, dans une déterritorialisation du langage, des lieux, des fonctions, des habitudes. Du fond de leur solitude, dit Deleuze, de tels individus ne révèlent pas seulement le rejet d'une sociabilité empoisonnée, mais sont aussi un appel à une nouvelle solidarité, une invocation d'une communauté à venir.
Le problème n’est pas qu’ils nous laissent tranquilles, c’est qu’ils ne nous laissent pas assez tranquilles.
Deleuze n’a jamais cessé de revendiquer la solitude absolue.
L'article en entier de Peter Pal Pelbart
Je le pense aussi :
RépondreSupprimerLe problème n’est pas qu’ils nous laissent tranquilles, c’est qu’ils ne nous laissent pas assez tranquilles.