Les belles histoires : un conte des Indiens Cherokee


C’est le premier matin du monde.

La lumière qui se lève là, c’est la première fois.
Avant, il n’y avait rien. Le Grand esprit dormait dans le rien depuis tout le temps, depuis l’éternité.
Et voilà que dans ce rien, le Grand Esprit a rêvé. Il a rêvé de la lumière. C’est pour ça qu’elle se lève pour la première fois.

C’est le premier rêve. Le premier matin du monde. La lumière se lève et joue comme un enfant. Elle danse, elle file, se faufile, fait des galipettes. Et comme tout un chacun, comme vous, comme moi, elle cherche à se réaliser… Elle cherche, elle trouve : elle devient transparence… Et la transparence commence son règne dans l’univers. Elle explore, elle expérimente tous les jeux de couleurs. Et voilà qu’à son tour, elle se met à rêver, à s’emplir du désir d’autre chose. Elle qui était si légère, si impalpable, elle rêve d’être lourde, d’être grosse. Elle rêve du caillou et le caillou apparaît.

C’est le deuxième rêve. Le deuxième matin du monde. Le caillou joue comme un enfant, il roule, fait du bruit, dévale, déboule, court, s’arrête d’un coup puis repart encore plus vite et comme tout un chacun, comme vous, comme moi, il cherche à se réaliser, à s’accomplir : il devient cristal et le cristal règne dans l’univers. Le cristal se tourne et se retourne dans la lumière, joue avec ses arêtes, ses aiguilles de verre, se montre sous toutes ses facettes et voilà qu’à son tour, il s’emplit de désir. Lui si droit, si dur, si anguleux, il rêve de tendresse, de fragilité. Il rêve de la fleur et la fleur apparaît.

C’est le troisième rêve. Le troisième matin du monde. La fleur pousse, sort sa tête, la tourne de tous les côtés, se balance, s’étire, essaye des couleurs, invente des parfums et comme tout le monde, elle cherche à se réaliser. Elle cherche et elle trouve. C’est l’arbre. Et l’arbre à son tour règne sur le monde. Il enfonce ses pieds dans la terre, s’enracine, touche le ciel avec sa tignasse. Alors, forcément, la tête dans les nuages, il se met à rêver. Lui, si ancré, il rêve de se déplacer, de passer partout, partout comme… comme… comme un ver de terre.

C’est le quatrième rêve. Le quatrième matin du monde. Lui, le ver de terre, ce moins que rien, ce petit minus, après avoir joué sur la terre et sous la terre, après avoir creusé des tunnels, franchi des bosses et des creux, lui aussi cherche à se réaliser. Pourquoi pas ? Il tâtonne. Il essaye. Il tente.
Serpent à sonnette ? Porc-épic ? Puma ? Aigle ? Il tâtonne le petit ver de terre, il cherche. Ce n’est pas ça, pas encore tout à fait ça… Il cherche longtemps. Et voilà que tout d’un coup, il trouve.
Surgit d’abord un chant en plein milieu de l’océan, puis apparaît dans une vague colossale la baleine, l’accomplissement du petit ver de terre. Dans cette montagne de musique se reconnaissent tous les animaux, pas seulement le ver de terre, tous les animaux. Alors elle règne sur le monde. Tout aurait pu en rester là, seulement voilà : la baleine à son tour, après avoir chanté des lunes et des lunes, s’emplit d’un désir fou qui lui laboure les entrailles. Elle qui vivait fondue dans la mer, en parfaite osmose avec l’océan, elle rêve de s’en détacher. Elle nous rêve, nous les hommes.

Nous sommes le cinquième rêve. Le cinquième matin du monde. En marche vers le cinquième accomplissement. Allez, en route ! Puisque dans la transparence cohabitent tous les jeux de lumière. Puisque dans chaque caillou au bord du chemin dort un cristal. Puisque dans le plus petit brin d’herbe sommeille un baobab et dans le moindre ver de terre se cache une baleine. Alors dans chaque homme…

Hé ! Attention ! Si nous tuons la dernière baleine, qui nous rêvera ?

Gigi Bigot à partir d’un conte des Indiens Cherokee

Commentaires

  1. Hé ! Attention ! Si nous tuons la dernière baleine, qui nous rêvera ?

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