Années lycée, des lectures ...
J'avais
lu avec beaucoup d'émotions « Le temps d'un soupir »
d'Anne Philipe. Dans le cahier qui était maintenant mon compagnon,
j'ai écrit des passages de ce livre et coller des photos. La lecture
de ce livre m'empoignait au plus profond, dans chaque ligne
j'éprouvais la détresse d'un être humain ayant perdu quelqu'un de
très cher. Je ressentais son sentiment d'impuissance devant la mort.
« Je
me réveille tôt. Il fait encore nuit. Les yeux fermés, je tente de
repartir dans le sommeil, mais je ne plonge pas assez profondément.
Je reste sur une plage triste et grise, à mi-chemin entre la réalité
et le cauchemar. Il vaudrait mieux allumer la lampe et lire, éviter
les labyrinthes où la pensée s'engage, mais la fatigue me rend
passive et je dérive vers des souvenirs lumineux. Je les aborde
parfois et ils m'envahissent au point que la durée d'un instant, je
les confonds avec la réalité. Mais la conscience ne désarme pas
et, de souvenir en souvenir, je glisse, en tournant la tête vers
l'oreiller que je continue à poser chaque soir à ma droite, à la
vision de ton visage mort ; penché vers ma place vide au moment
où la vie te quitta. »
« Nos
pas soulevaient la neige. Nous étions heureux et conscients de
l'être. C'était une joie pure, calme, faite de la conviction que
tout ne pouvait être que bien. »
« Je
te conduisais au bord de l’abîme et l'on me félicitait. J'avais
honte mais je le faisais parce que quelque chose de plus fort, de
plus impérieux encore que le goût de la vérité qui, jusque-là
pour moi avait toujours prévalu, me poussait à le faire. »
« Plus
tard, un de mes enfant me demanda :
Toi
qui peux tout, fait qu'il revienne un jour, rien qu'un jour ; on
fera une fête, on sera sage. Il verra qu'on est heureux. »
« Le
premier soir, en fermant mes volets, j'ai entrevu le cfiel sans lune,
immense, écrasant. J'étais seule sur la terre. Les nuages qui
filaient, j'aurai voulu qu'ils m'emportent. J'ai tiré les rideaux
comme un animal se terre dans son trou. Il ne fallait plus que je
regarde le ciel, ni rien de ce que j'aimais. Comment ferai-je pour
supporter la vue des enfants ? Depuis trois jours je n'avais
plus pensé à eux. »
« Je
suis revenue l'été suivant. Les premières vacances sans toi.
J'avais quitté Paris par une chaleur accablante. Dès l'aube, j'ai
regardé filer les collines, les cyprès, les vignes, la mer qui
semblait naître de la brume et se distingue à peine du ciel. Je
retrouvais cette absence de couleur, ce frémissement de la lumière.
Et j'ai compris que sans me l'être avoué, je me préparais encore à
un rendez-vous que cette pensée sourde avait décidé de mon retour.
Mes contradictions resurgissaient : te fuir et te chercher,
faire d'un cimetière notre lieu de rencontre et dire ou croire que
seules désormais le souvenir et nos enfants te prolongeaient. Tout à
coup je me sentis raisonnable. Il n'y avait pas de rendez-vous. Il y
avait moi seule devant toi mort, moi devant le vide. Je pouvais
ressusciter ta voix, réentendre nos conversations, revoir tes
gestes, je pouvais aussi inventer le présent, établir un dialogue
imaginaire mais, en vérité, je n'avais rien à attendre de toi.
C'était cela la vérité. Tu étais absent au monde et à tout
jamais.
25 Novembre 1959, mourrait Gérard Philipe, emporté par un cancer.
« Une
petite voix sans merci que je connaissais bien me répétait :
« Vis ou meurs, mais décide-toi, il faut savoir choisir. »
J'eus
le sentiment, ce jour-là, de ne pas être faîte pour la sérénité,
peut-être la trouverai-je demain, dans dix ans ou jamais. En
rentrant, je vis de la route les enfants qui s'amusaient. Ils avaient
retrouvé leurs jouets et installaient la petite table blanche. Ils
se préparaient à l'été.
Les
mois, les années passent, les saisons reviennent. Voici un nouveau
printemps. Dans l'air immobile, il m'atteint par rafales. Il me donne
et me retire force et espoir. Subtil ou pesant, il s'insinue jusque
dans la moelle des os. Il suffit d'une parcelle de printemps mêlée
à l'ai soudain plus tiède, d'un chant d'oiseau, d'un bourgeon
éclaté sur l'arbre de la cour, du bruit de la pluie, d'un éclat de
rire entendu par la fenêtre, pour que tout soit remis en question.
Le calme que je croyais acquis, la sagesse dont j'étais fière, les
résolutions prises, la réalité acceptée, la révolte apaisée, la
peine ouatée, mes beaux châteaux forts ne sont plus que de sable.
L'ouragan est là, il sommeillait, prêt à m'assaillir au premier
ciel tendre, aux premières pousses vertes qui dessinent un halo
fragile autour des arbres.
Le
printemps fait mal. Je voudrais lui demander grâce. Chaque année
j'espère que je serai prête à le vivre ou que j'aurai oublié son
goût. N'ai-je donc pas avancé d'un pas ? Suis-je comme
l'écureuil encagé sur sa roue ? Et aurai-je pu, depuis ta mort
me mettre en boule, dans le fond de mon lit, sans que rien ne soit
pire ?
La
douceur de l'air me fait rêver à ce qui fut et à ce qui serait si
tu étais là. Je sais que cette rêverie n'est qu'un inaptitude à
vivre le présent. Je me laisse entraîner par ce courant sans
regarder trop loin ou trop profondément. J'attends le moment où je
retrouverai la force. Il viendra. Je sais que la vie me passionne
encore. Je veux me sauver, non me délivrer de toi. »
" Je veux me sauver, non me délivrer de toi."
RépondreSupprimerC'est tout à fait ça, l’œuvre de l'amour véritable...
Oui, Miche !!!!
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