ANNÉES LYCÉE, brume dans la ville
Roberto Montenegro (1885-1968)
Ville dans la brume, vers 1911.
J'ai
relu les mots d'hier, pour une fois, et c'est rare, je suis d'accord
avec ce que j'ai écrit. Bien sûr tout personne peut compter de
nombreuses joies dans sa vie, mais compter seulement. Alors que les
peines restent toujours présentes, elles sont vivantes dans le
corps. Peut-être n'est-ce que moi, qui ne sait pas oublier, il
m'arrive très souvent de pleurer de chagrins que j'ai eu enfant. Je
n'ai pas honte de pleurer, même si je ne pleure jamais devant
témoin. Quand la vague vient, je la laisse m'emporter, je verse
alors toutes les larmes de mon corps, et jamais je ne le regrette.
Ce
soir je me suis promenée dans les vieux quartiers de la ville. C'est
incroyable et tellement ambivalent, je ne suis vraiment heureuse que
lorsque je suis seule à errer dans des endroits que je ne
connaissais pas jusqu'alors. Tout était imprégné, étouffé de
brouillard. La nuit elle-même était ouateuse. La lune et sa clarté
blafard, mystérieuse et silencieuse m'a accompagnée dans ma
promenade solitaire. Parfois je croisais des inconnus à la
silhouette floue, à la démarche pressée. Et moi, toute serrée
dans mon ciré-maxi, je marchais dans ces ruelles sombres où chaque
recoin respirait d'une autre époque.
Un
moment j'ai suivi l'Eure, confondue avec la brume, puis j'ai franchi
un pont de pierres. A chaque fois que je débouchais sur la
civilisation, lumineuse tellement en ces soirées proches de Noël,
je faisais demi-tour pour à nouveau me sentir vivre, vivre comme je
l'aime.
Le
froid vif et humide me pénétrait au plus profond de mes secrets et
lui aussi je l'aimais. J'aurai voulu ne jamais retrouver mon chemin.
Ma vie si je pouvais en décider je la voudrais pareille à un long
voyage qui jamais n'aboutirait... s'effaçant peu à peu comme le
pont devant moi se fondant dans le brouillard toujours plus épais.
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